de Vieri Adriani
Vieri Adriani est avocat avec une préparation spécifique en droit pénal international. Langues parlées : anglais et français
En lisant entre les pages du volume du professeur Ruben De Luca intitulé “Serial Killer”, édité par New Compton Editori, Rome, 2021, pp.77/79, on tombe sur la question s’il existe un “univers mental nazi”, c’est-à-dire une “structure mentale dominée par la rigidité des schémas et le désir d’atteindre l’omnipotence par tous les moyens et la déshumanisation des autres” à comparer avec la personnalité du tueur en série. L’auteur identifie et décrit, avec une richesse de détails, certaines caractéristiques communes à l’un et à l’autre genre, le nazi et le tueur en série, que nous ne pouvons résumer ici : éducation aliénante qui conduit à la construction de schémas rigides (blanc ou noir); recours à des formes extrêmes de violence alimentées par une double personnalité; utilisation du mensonge systématique pour cacher son côté obscur ; réduction de la réalité à ses propres besoins et mise en œuvre d’un comportement pervers.
En fait, en comparant la personnalité de certains nazis avec celle de quelques tueurs en série – juste pour rester en Italie on cite cinq cas : “Monstre de Florence”, Ludwig, assassins du Circeo, Donato Bilancia -il semble que l’on puisse conclure que la profonde déviation morale, présente dans les uns et les autres, est en réalité un archétype commun à tous.
Pour simplifier le tableau, parmi les nombreux exemples d’officiers des SS ou de la Gestapo impliqués dans des crimes de guerre et/ou dans l’extermination systématique de civils, on rappelle notamment :
Walter Reder (4 février 1915 – 26 avril 1991), dit “le Moineau”, commandant des SS autrichiennes et auteur de nombreux massacres nazis accomplis en Italie après la chute de Mussolini et l’armistice avec les Alliés, y compris celles de S. Anna di Stazzema et de Marzabotto ;
Klaus Barbie (25 octobre 1913 – 25 septembre 1991), dit “le Bourreau de Lyon”, commandant de la Gestapo dans cette ville française pendant l’occupation nazie de la France ;
Reinard Heydrich (7 mars 1904- 4 juin 1942), dit “le Boucher de Prague”, se situant dans la foulée d’Himmler, l’un des principaux instigateurs de l’extermination des juifs en Europe.
De ces trois personnages et de leurs terribles exploits, après les avoir soigneusement examinés dans les livres d’histoire, on croit pouvoir repérer un cliché commun, un stéréotype en partage avec celui des cinq tueurs en série mentionnés ci-dessus, à savoir :
A. Déshumanisation et dépersonnalisation de la victime , pas même connue et identifiée au hasard : suspension totale de l’empathie, froideur, détermination et impitoyabilité dans l’élimination de celle-ci. L'”ennemi” ou la “victime” équivaut à un objet, corps, ou catégorie abstraite (juif, tzigane, homosexuel, etc.), à effacer pour toujours de la face de la terre pour donner un avertissement au monde
. Superomisme : Übermensch, dans sa version la plus obscène et hors de toute classicité dionysiaque, rupture avec la morale traditionnelle, celle surtout des pauvres gens, prétendant s’élever au-dessus des masses par un acte créatif par excellence, divin, constituant l’antithèse de la vie, l’infliction de la mort, comme la punition venant d’un Dieu châtieur, accompagnée par la certitude inébranlable de se trouver “au-delà du bien et du mal”, jusqu’à pouvoir déchirer, dans certains cas, le corps de la victime pour démontrer à tous son propre pouvoir
C. Dissociation morale : les trois criminels nazis susmentionnés donnent à entendre des mécanismes manifestes de dissociation morale, consistant en l’accomplissement d’atrocités accomplies dans la conviction d’être au service d’un idéal, comme les tueurs en série animés par l’intention de nettoyer la société des médiocres, des “cochons”, des pécheurs, des moraux corrompus .
N’est-il pas vrai que tandis que le tueur en série agit dans un contexte solitaire ou dualiste ou de petit groupe, le criminel nazi agit, au contraire, dans le cadre d’un système, dans un cadre institutionnel, donc de régime, qui non seulement le justifie mais même l’encourage à tuer, à exterminer, comme on le lit dans “Mein Kampf” d’Adolf Hitler.
Cependant, le plaisir que l’on éprouve à provoquer la mort de la victime , renvoie dans le système étatique public l’occasion de se tenir au-dessus de tout et de tous, de se sentir non seulement couvert, mais même approuvé et récompensé comme un héros. L’idéologie nazie n’est pas seule la cause de l’action criminelle, si elle ne trouve pas déjà un terrain fertile dans la personnalité déviante de ceux qui la mettent en œuvre, allant des paroles d’un livre aux atrocités commises contre des civils sans défense.
Selon Hannah Arendt, auteur de “La banalité du mal. Eichmann à Jérusalem” (1963), Adolf Eichmann, concepteur de la solution finale avec Himmler, aurait été un pur et simple rouage du système (la c.d. “banalité du mal”), dans la mesure où son obéissance bureaucratique et sa totale amoralité l’auraient conduit à organiser l’extermination de masse.
Même le prof. Joel Dimsdal dans “Anatomy of Malice : The Enigma of the Nazi War Criminals” (2016) étudie les structures mentales de certains cadres nazis condamnés à l’issue du procès de Nuremberg (Robert Ley, Hermann Goring, Julius Streicher, Rudolph Hess), concluant qu’ils n’étaient rien de plus que des fous cliniques, seulement des hommes ordinaires, mais déviants moralement, fils d’une époque violente et capables de rationaliser tout crime grâce à l’idéologie de leur Führer, lui-même inspiré par un ancien héritage de l’âme allemande.
Selon le psychiatre Robert Jay Lifton, auteur de “Les médecins nazis : la psychologie du génocide” (1986), prévaut le concept de “double vie” ou “dissociation morale”, en vertu duquel les médecins en question conservaient une identité publique respectable et, En même temps, ils commettaient des actes inhumains, exactement comme les tueurs en série.
Semblable, même avant celle-ci, est la thèse d’un autre psychiatre, Hervey Cleckley, dans “The Mask of Sanity” (1941), où se dessine la figure du psychopathe “fonctionnel”, capable d’agir de manière froide, manipulatrice, sans empathie. De nombreux tueurs en série, en lisant le livre du prof. De Luca, semblent en fait entrer dans cette définition de la psychopathie, sans folie apparente.
Conclusion : vraisemblablement, la folie clinique n’était présente ni chez les criminels nazis cités ci-dessus, ni chez certains importants tueurs en série italiens du passé, même récent. En plus de partager certaines caractéristiques, telles que la froideur, la déshumanisation, le superhomisme, la double personnalité, les racines motivationnelles – des uns et des autres – s’enfoncent dans la même personnalité psychopathe de type sadique. On est face à des individus parfaitement lucides et responsables, avec des traits chroniques de cruauté, de supériorité, d’autoritarisme et de plaisir dans l’élimination des différents, des faibles, des marginalisés, même sans impliquer la sphère sexuelle.
Florence, 10 mai 2025
Vieri Adriani
Une confrontation entre tueurs en série et criminels nazis
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